Barcelone

La dernière fois que j’avais vu Sam, c’était à Barcelone, en 38. C’était un jongleur et un magicien de première. C’était moche, le coup de son bras ; mais j’avais comme dans l’idée qu’il tirait un maximum de son absence. Faut bien se débrouiller avec ce qu’on a.

Nous avons échangé quelques souvenirs de la Guerre Civile espagnole et puis je lui ai tapé cinq dollars. Je fais de mon mieux pour ne pas rater une occasion.

« Au fait, dis-je. Est-ce que tu m’as jamais remboursé le billet de cinq que tu m’avais emprunté à Barcelone ?

— Quel billet de cinq ? dit-il.

— Tu ne te rappelles pas ? dis-je.

— Non, dit-il.

— Bon, alors ça ne fait rien, dis-je. C’est pas bien grave. Et puis j’ai commencé à changer de sujet…

— Non, attends une seconde », dit-il. Il avait toujours été d’une honnêteté dépourvue de scrupules. « Je ne me rappelle pas t’avoir emprunté cinq dollars. C’était quand ?

— A Barcelone. Une semaine avant qu’on ne parte ; mais laisse tomber. Ça ne fait rien. Si tu ne te rappelles pas, je veux pas remettre ça sur le tapis. C’est du passé tout ça. Laisse tomber. » Et je me suis remis à changer de conversation.

Quelques instants plus tard, après m’avoir donné les cinq dollars, il a remonté Washington Street en faisant une drôle de tête, et il est sorti de ma vie.